12

ÉQUILIBRISME

 

— Billy ! s’écria Charlie dès qu’il fut sorti de voiture.

Je me dirigeai vers la maison, indiquant d’un geste à Jacob de me rejoindre sous le porche. Derrière moi, j’entendis Charlie les saluer avec chaleur.

— Je vais faire comme si je ne t’avais pas vu derrière le volant, mon garçon, morigéna-t-il Jacob.

— Nous passons notre permis plus tôt, à la réserve, répliqua l’adolescent tandis que j’ouvrais la porte et éclairais le perron.

— À d’autres ! s’esclaffa mon père.

— Il faut bien que je me déplace, intervint Billy.

Malgré les années, je reconnus sa voix puissante et j’eus soudain le sentiment de redevenir une gamine.

J’entrai, laissant le battant ouvert, et allumai les lampes avant de suspendre mon coupe-vent à la patère. Puis je me tins dans le vestibule, pas très rassurée, pendant que Charlie aidait Jacob à extirper Billy de la voiture et à l’installer dans son fauteuil roulant. Quand ils se précipitèrent, trempés, à l’intérieur, je reculai.

— Quelle bonne surprise ! dit Charlie.

— Ça fait une paie, répondit Billy. J’espère que nous ne dérangeons pas.

Ses yeux sombres se posèrent sur moi, indéchiffrables.

— Non, c’est super. Tu restes pour le match, hein ?

— C’est précisément le but, rigola Jacob. Notre télé est tombée en panne la semaine dernière.

— Sans compter que Jacob avait hâte de revoir Bella, rétorqua Billy en décochant une grimace à son fils.

Ce dernier fit la moue et baissa la tête, cependant que je refoulais une bouffée de remords. Je m’étais sans doute montrée trop convaincante à la plage.

— Vous avez faim ? m’enquis-je en filant vers la cuisine, pressée d’échapper au regard scrutateur de Billy.

— Non, nous avons dîné avant de venir, répondit Jacob.

— Et toi, Charlie ? lançai-je par-dessus mon épaule.

— Oui, me lança-t-il du salon.

Les croque-monsieur enfournés, je tranchais une tomate quand je sentis une présence dans mon dos.

— Alors, ça roule ? s’enquit Jacob.

— Plutôt bien, affirmai-je avec entrain tant il était dur de résister à sa bonne humeur contagieuse. Et toi, tu as terminé ta voiture ?

— Non, il me manque encore des pièces détachées. Nous avons emprunté celle-ci, précisa-t-il en désignant la cour du pouce.

— Désolée. Je n’ai pas entendu parler de... Qu’est-ce que c’était déjà ?

— Un maître-cylindre. Au fait, la camionnette marche mal ? ajouta-t-il soudain avec sérieux.

— Non, pourquoi ?

— J’ai juste remarqué que tu ne t’en servais pas.

— Un ami m’a raccompagnée, me dérobai-je, les yeux fixés sur la planche à découper.

— Belle bagnole. Je n’ai pas reconnu le conducteur. Pourtant, je croyais connaître la majorité des jeunes du coin.

J’acquiesçai sans me mouiller et retournai mes croque-monsieur.

— En revanche, mon père semblait l’avoir déjà vu quelque part.

— Tu me passes les assiettes, s’il te plaît ? Elles sont dans le placard au-dessus de l’évier.

— Pas de problème. Alors, qui c’était ? insista-t-il en posant deux assiettes sur le comptoir.

— Edward Cullen, soupirai-je, vaincue.

À ma grande surprise, il éclata de rire. Levant la tête, je m’aperçus qu’il était vaguement gêné.

— Voilà qui explique bien des choses ! Je trouvais mon père bizarre, aussi.

— C’est vrai qu’il n’aime pas beaucoup les Cullen.

— Vieillard superstitieux, marmonna Jacob dans sa barbe.

— Il ne va rien dire à Charlie, hein ?

Ces mots précipités m’avaient échappé. Jacob m’observa quelques instants, une expression impénétrable sur le visage.

— J’en doute, finit-il par répondre. Charlie l’a sacrément enguirlandé, la dernière fois. Ils ne se sont pas beaucoup parlé depuis. Ce sont en quelque sorte des retrouvailles, ce soir. À mon avis, il évitera de remettre le sujet sur le tapis.

— Oh !

Je portai son repas à Charlie et restai dans le salon, faisant mine de m’intéresser au match, tandis que Jacob entretenait la conversation. En réalité, je prêtai l’oreille à ce que se racontaient les deux hommes, guettant Billy et méditant déjà la façon de l’empêcher de me dénoncer au cas où il aurait cédé à la tentation. La soirée se traîna en longueur. J’avais pas mal de devoirs qui m’attendaient. Ils allaient rester en plan, mais tant pis : j’avais trop peur de laisser Billy seul avec Charlie. Enfin, le match se termina.

— Toi et vos amis comptez bientôt revenir à la mer ? me lança Jacob au moment où il poussait le fauteuil de son père dehors.

— Je n’en sais trop rien.

— Merci, Charlie, dit entre-temps Billy. Je me suis bien amusé.

— Je t’attends pour le prochain match.

— Compte sur nous, plaisanta le vieil homme. Bonne nuit.

Ses yeux se posèrent sur les miens, et son sourire disparut.

— Prends garde à toi, Bella, ajouta-t-il gravement.

— Je n’y manquerai pas, marmonnai-je en regardant ailleurs.

Je montais dans ma chambre pendant que Charlie agitait la main, planté sur le seuil de la porte, lorsque mon père m’interpella :

— Bella ? Attends.

Je tressaillis. Billy avait-il mangé le morceau avant que je ne me joigne à eux ? Apparemment non. Charlie était hilare, ravi par cette visite impromptue.

— Je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec toi, ce soir. Comment s’est passée ta journée ?

— Bien.

J’hésitai, un pied sur la première marche, cherchant quelques détails à partager sans risque.

— Mon équipe a gagné les quatre matchs de badminton.

— Ça alors ! J’ignorais que tu savais jouer.

— En fait, je n’y suis pour rien. Mon partenaire est excellent.

— Qui est-ce ?

— Euh... Mike Newton, admis-je avec réticence.

— Ah oui, je me souviens ! s’exclama-t-il, rasséréné. Tu m’as dit que vous étiez amis. Chouette famille. Pourquoi ne l’as-tu pas invité au bal ? ajouta-t-il au bout de quelques minutes.

— Papa ! Il sort plus ou moins avec mon amie Jessica. Et je te rappelle que je ne sais pas danser.

— Pardon, j’avais oublié. En tout cas, c’est très bien que tu sois absente samedi... J’ai prévu d’aller pêcher avec les gars du commissariat. La météo prévoit une belle journée. Mais si tu souhaites reporter ton expédition jusqu’à ce que tu aies trouvé quelqu’un pour t’accompagner, je resterai avec toi. J’ai conscience de te laisser trop souvent seule.

— Ne t’inquiète pas, tu assures comme un chef, papa, le rassurai-je gentiment en espérant ne pas trahir mon soulagement. La solitude ne me dérange pas. Pour ça, je te ressemble comme deux gouttes d’eau.

Je lui adressai un clin d’œil et fus récompensée par le sourire charmant qui creusait ses pattes d’oie.

 

Cette nuit-là, trop fatiguée pour rêver, je dormis mieux. J’étais de bonne humeur quand je m’éveillai, en dépit du ciel gris perle. Avec le recul, la soirée en compagnie de Billy et Jacob m’apparut anodine ; je décidai de l’oublier. Je me surpris à siffloter tandis que j’attachai mes cheveux avec une barrette et, plus tard, en descendant l’escalier. Charlie ne manqua pas de s’en rendre compte.

— Tu es bien joyeuse, ce matin, souligna-t-il en terminant son petit-déjeuner.

— On est vendredi.

Je m’activai, car je voulais partir à la seconde où Charlie aurait filé. Mon sac était prêt, je m’étais brossé les dents et j’avais déjà mis mes chaussures quand il s’en alla. Une fois sûre que la voie était libre, je me ruai dehors. Edward m’avait néanmoins devancée et attendait dans sa voiture rutilante, fenêtres baissées, moteur coupé. C’est sans hésiter que je m’installai sur le siège passager, avide de retrouver son visage. Il m’offrit son sourire en coin, et mon cœur cessa de battre. Un ange n’aurait pas dégagé plus d’éclat. Il était parfait, il n’y avait rien à améliorer.

— Tu as bien dormi ?

Bon sang ! Avait-il la moindre idée de la séduction de sa voix ?

— Comme un loir. Et toi, ta nuit ?

— Agréable, rigola-t-il, me donnant l’impression que je ratais une plaisanterie personnelle.

— Ai-je le droit de te demander à quoi tu l’as consacrée ?

— Non, s’esclaffa-t-il. Aujourd’hui est encore mon jour.

Ce coup-ci, son intérêt se porta sur les gens. Renée, ses passions, nos occupations communes ; puis la seule de mes grand-mères que j’avais connue, mes rares amis d’école (il m’embarrassa lorsqu’il s’enquit des garçons avec lesquels j’étais sortie). À ma grande satisfaction, le sujet tourna court, puisque je n’avais eu aucune aventure. Il parut aussi stupéfait que Jessica et Angela par le désert de ma vie sentimentale.

— Personne ne t’a jamais attirée ? insista-t-il avec une gravité qui me poussa à m’interroger sur ses intentions.

— Pas à Phœnix, reconnus-je à contrecœur.

Sa bouche se serra en une ligne mince. Nous étions à la cafète, à ce moment-là. La journée avait défilé avec cette vitesse qui était en train de devenir une routine. Je pris avantage de la pause qu’il marquait pour mordre dans mon beignet.

— Nous aurions dû prendre ta voiture, annonça-t-il tout à trac.

— Pourquoi ?

— Je pars avec Alice après le déjeuner.

— Oh, murmurai-je, perplexe et déçue. Ce n’est pas grave, je rentrerai à pied.

— C’est exclu, rétorqua-t-il. Nous irons chercher ta camionnette et la laisserons sur le parking.

— Je n’ai pas les clés sur moi. Je t’assure, ça m’est égal de marcher.

Ce qui l’était moins, c’était de perdre quelques précieuses minutes de sa compagnie.

— Ta voiture sera là, et la clé sur le contact, s’entêta-t-il. À moins que tu craignes qu’on te la vole.

Idée qui eut au moins le mérite de le dérider.

— D’accord, acceptai-je, lèvres pincées.

J’étais quasiment certaine que mes clés se trouvaient dans la poche du jean que j’avais porté le mercredi, sous une pile de linge sale dans la buanderie. Même en pénétrant par effraction chez moi, il ne la dénicherait jamais. Il sembla considérer mon consentement comme un défi et se permit une grimace arrogante.

— Où allez-vous ? demandai-je le plus naturellement du monde.

— Chasser. Si je dois passer une journée seul avec toi, je préfère prendre un maximum de précautions. Tu peux toujours annuler, tu sais...

C’était presque une supplique, chuchotée avec tristesse. Je baissai les yeux, effrayée par le pouvoir de persuasion des siens. Je refusais d’avoir peur de lui, quel que fût le danger qu’il représentât. Ça n’avait pas d’importance, me serinais-je.

— Non, refusai-je en relevant la tête. J’en suis incapable.

— Malheureusement, c’est sans doute vrai, ronchonna-t-il.

Ses prunelles parurent s’assombrir devant moi. Je changeai de sujet.

— À quelle heure seras-tu là, demain ? m’enquis-je, déjà déprimée à l’idée de le quitter.

— Tout dépend... c’est samedi, tu ne veux pas faire la grasse matinée ?

— Non.

J’avais répondu avec trop d’empressement, et il réfréna un sourire.

— Comme d’habitude, alors. Charlie sera là ?

— Non, il part à la pêche.

La façon dont les choses s’étaient superbement arrangées allégea mon humeur.

— Et si tu ne reviens pas, lança cependant Edward avec sécheresse, que va-t-il penser ?

— Aucune idée. Il sait que j’avais projeté des lessives. Il se dira que je suis tombée dans le lave-linge.

Furieux, il me fusilla du regard. Je fis de même. Sa colère était bien plus impressionnante que la mienne.

— Que chasserez-vous, ce soir ? repris-je, consciente d’avoir perdu ce combat.

— Ce que nous trouverons dans le Parc régional. Nous n’avons pas l’intention d’aller très loin.

Mon intérêt poli pour son secret avait le don de le laisser perplexe.

— Pourquoi y vas-tu avec Alice ?

— Elle est celle qui... me soutient le plus, avoua-t-il, sourcils froncés.

— Et les autres ? Comment réagissent-ils ?

— Avec scepticisme, pour la plupart.

J’inspectai brièvement ses frères et sœurs. Ils étaient muets et indifférents à tout, exactement comme au premier jour. Sauf qu’ils n’étaient plus que quatre – leur magnifique frère aux cheveux cuivrés était installé en face de moi, un éclat d’incertitude dans ses pupilles dorées.

— Ils ne m’aiment pas, devinai-je.

— Ce n’est pas ça, objecta-t-il avec des yeux trop innocents pour que je m’y fie. Ils ne comprennent pas pourquoi je ne te fiche pas la paix.

— Ça alors, moi non plus, figure-toi !

Il secoua lentement la tête, exaspéré.

— Je te l’ai déjà dit, tu n’as aucune conscience de qui tu es. Tu ne ressembles à personne. Tu me fascines.

Je lui lançai un regard peu amène, persuadée qu’il se moquait de moi. Il rit.

— Avec mes talents... particuliers, murmura-t-il en effleurant discrètement son front, j’ai une capacité hors du commun à saisir la nature humaine. Les gens sont prévisibles. Mais toi... tes réactions sont déconcertantes. Tu m’intrigues.

À la fois gênée, chagrine et mécontente, je détournai les yeux en direction de sa famille. Ses mots me donnaient le sentiment d’être un cobaye. Quelle idiote ! J’aurais dû me douter que son intérêt s’arrêterait là.

— Ce n’est qu’une partie du problème, poursuivit-il. La plus facile à expliquer. Il y en a une autre cependant... pas aussi aisée à décrire...

Je continuai à détailler les Cullen. Soudain, Rosalie, la blonde époustouflante, pivota vers moi. Elle ne me regarda pas, elle me poignarda de ses prunelles sombres et froides. J’aurais voulu lui échapper, mais elle me tint sous l’emprise de ses yeux jusqu’à ce qu’Edward émît un son rageur, étouffé, presque un sifflement de haine. Alors, Rosalie me lâcha. Me tournant aussitôt vers Edward, je vis qu’il décelait sans effort la confusion et la terreur qui m’avaient envahie.

— Désolé, s’excusa-t-il, le visage fermé. Elle est inquiète, rien de plus... C’est que... ce ne serait pas dangereux uniquement pour moi si, après m’avoir fréquenté de façon aussi ostensible, tu...

— Je ?

— Les choses se terminaient... mal.

Comme le soir à Port Angeles, il se prit la tête entre les mains, dans un élan d’angoisse absolue. J’aurais aimé le réconforter, je n’avais hélas aucune idée de la manière dont m’y prendre. Instinctivement, je tendis le bras avant de le laisser retomber sur la table, par crainte que mon contact empire les choses. Puis je me rendis compte que ses mots auraient dû m’affoler. Je guettai la montée de la peur, en vain. Tout ce que je paraissais éprouver, c’était de la souffrance envers sa propre douleur. Et de la frustration. Parce que Rosalie avait interrompu ce qu’il s’apprêtait à me dire et que j’ignorais comment revenir sur le sujet. Lui était toujours prostré.

— Tu dois absolument partir maintenant ? demandai-je d’une voix aussi normale que possible.

— Oui.

Il releva la figure. Un instant sérieux, il sourit tout à coup.

— C’est mieux ainsi. Il reste encore un quart d’heure de ce maudit film à visionner en biologie, et je ne crois pas que j’arriverai à le supporter.

Je sursautai soudain. Alice – ses cheveux courts et noirs comme de l’encre formant un halo de piques désordonnées autour de son exquis visage d’elfe – se tenait derrière lui. Sa silhouette fine était souple, gracieuse même quand elle était parfaitement immobile. Sans me quitter des yeux, Edward la salua.

— Alice.

— Edward, répondit-elle, son soprano presque aussi séduisant que son ténor à lui.

— Alice, Bella ; Bella, Alice, nous présenta-t-il avec décontraction, une moue ironique aux lèvres.

— Salut ! Ravie de te rencontrer enfin, me lança-t-elle.

Ses pupilles d’obsidienne avaient un éclat indéchiffrable, mais son sourire était amical.

— Bonjour, murmurai-je timidement.

— Tu es prêt ? demanda Alice à son frère.

— Presque, répondit-il d’une voix distante. Je te retrouve à la voiture.

Elle partit sans faire de commentaire. Sa démarche était si fluide, si souple que j’en éprouvai un pincement de jalousie.

— Aurais-je dû lui souhaiter de bien s’amuser ou ça aurait été déplacé ? m’enquis-je.

— Non, ça aurait convenu, rigola-t-il.

— Amuse-toi bien, alors.

J’avais feint l’entrain. Naturellement, il ne s’y laissa pas prendre.

— J’y compte bien. Quant à toi, tâche de rester en vie.

— À Forks ? Quel défi !

— Pour toi, c’en est un, riposta-t-il en s’assombrissant aussitôt. Promets !

— Je promets de rester en vie, ânonnai-je. Je m’occuperai de la lessive ce soir, voilà qui devrait ne pas être trop dangereux.

— Ne tombe pas dedans, railla-t-il.

— Je ferai mon possible.

Nous nous levâmes.

— À demain, soupirai-je.

— Ça te semble si loin que ça ? plaisanta-t-il.

Je hochai la tête, lugubre.

— Je serai là à l’heure, jura-t-il en m’octroyant son fameux sourire en coin.

Se penchant par-dessus la table, il effleura une fois de plus ma joue, puis il s’éloigna, et je le suivis des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu.

J’étais drôlement tentée de sécher l’après-midi ou, tout au moins, le cours de gym. Un instinct de conservation m’en empêcha. Je savais que si je filais, Mike et les autres en concluraient que j’étais avec Edward. Et ce dernier s’inquiétait du temps que nous passions publiquement ensemble... au cas où les choses tourneraient mal, perspective peu réjouissante que j’évacuai immédiatement. Quand bien même, je préférai me comporter de manière à lui faciliter l’existence.

Je sentais intuitivement – lui aussi, j’en étais sûre – que la journée du lendemain allait constituer un pivot. Notre relation ne pouvait perdurer dans cet équilibre instable, telle une assiette sur la pointe d’une épée. Tôt ou tard, nous tomberions d’un côté ou de l’autre. Cela dépendrait entièrement d’une décision qu’il prendrait ou de ses instincts. Pour ma part, ma religion était faite, j’avais fait mon choix sans même en avoir conscience. Désormais, j’étais obligée de m’y tenir. Car rien n’était plus terrifiant ni plus douloureux que l’idée de me détacher de lui. C’était inenvisageable.

En fille sage, je me rendis en classe. Je ne saurais décrire comment se déroula le cours de sciences nat, tant j’étais préoccupée par le lendemain. En gym, Mike ne boudait plus. Il me souhaita une bonne journée à Seattle. Prudemment, je lui expliquai que j’avais annulé, à cause de ma camionnette peu fiable.

— Tu seras au bal avec Cullen, alors ? se renfrogna-t-il.

— Non, je n’ai pas l’intention d’y aller.

— Qu’est-ce que tu vas faire, dans ce cas ? insista-t-il.

Je faillis céder à mon mauvais caractère et l’envoyer aux pelotes. Au lieu de quoi, je mentis avec brio.

— De la lessive, et ensuite je bachoterai les maths, sinon, je suis bonne pour échouer aux examens.

— Est-ce que Cullen t’aide ?

— Edward (et je soulignai le prénom) ne m’aidera en rien. Il est parti en week-end je ne sais trop où.

Je remarquai avec surprise que les mensonges me venaient plus facilement que d’habitude. Mike retrouva sa bonne humeur.

— Tu sais, tu pourrais te joindre à nous. Ce serait super. Je te promets qu’on dansera tous avec toi.

L’image du visage de Jessica découvrant ma présence me rendit un peu cassante.

— Je n’irai pas au bal, Mike, compris ?

— Comme tu veux, râla-t-il. C’était juste une proposition.

Lorsque la journée s’acheva enfin, c’est sans enthousiasme que je gagnai le parking. Je n’avais pas très envie de rentrer à la maison à pied, mais je n’envisageais pas qu’il eût réussi à ramener ma voiture. En même temps, je commençais à penser que rien ne lui était impossible. Et j’avais raison, car ma Chevrolet était garée sur l’emplacement qu’avait occupé sa Volvo le matin même. Incrédule, j’ouvris la portière (non verrouillée) et aperçus les clés sur le contact. Un bout de papier gisait sur mon siège. Je m’installai et refermai la portière avant de le déplier. Deux mots, rédigés de sa belle écriture.

 

Sois prudente

 

Le rugissement du moteur me flanqua la frousse de ma vie, et je ris de moi-même.

À la maison, je constatai que le verrou était tiré, exactement comme je l’avais laissé en partant. À l’intérieur, je fonçai droit sur la buanderie. Rien ne paraissait avoir été dérangé. Je cherchai mon jean et en fouillai les poches. Vides. J’avais peut-être suspendu ma clé au clou de l’entrée, après tout.

Suivant le même instinct que celui qui m’avait poussée à mentir à Mike, j’appelai Jessica sous prétexte de lui souhaiter bonne chance lors du bal. Quand elle me retourna la pareille pour ma journée en compagnie d’Edward, je lui annonçai que c’était remis. Elle se montra un peu plus déçue que nécessaire pour qui n’était pas directement impliquée dans ma relation compliquée avec Edward. J’abrégeai nos adieux.

Durant le dîner, Charlie me parut ailleurs, préoccupé par le travail sans doute, ou un match de base-ball, à moins qu’il ne se délectât tout simplement des lasagnes – c’est difficile de savoir, avec Charlie. J’interrompis sa rêverie.

— Tu sais, papa...

— Oui, Bella ?

— Je crois que tu as raison, pour Seattle. J’attendrai que Jessica ou quelqu’un d’autre vienne avec moi.

— Oh. Très bien. Tu veux que je reste ici ?

— Non, ne change pas tes plans. J’ai des tonnes de trucs à faire. Des devoirs, la lessive... Il faut aussi que j’aille à la bibliothèque et en courses. Je ne vais pas arrêter d’aller et venir. Profite plutôt de ta journée.

— Tu es sûre ?

— Certaine. Et puis, nos réserves de poisson ont dangereusement baissé. Nous n’en avons plus que pour deux ou trois ans.

— Tu es vraiment facile à vivre, Bella.

— Je pourrais en dire autant de toi.

Nous nous esclaffâmes en même temps. Mon rire me parut faux, il ne s’en aperçut pas néanmoins. Je me sentais tellement coupable de le tromper que je manquai de suivre le conseil d’Edward et de lui avouer nos plans. Heureusement, je me retins.

Après le repas, je pliai du linge propre et lançai un nouveau cycle de séchage. C’était le genre d’activité qui n’occupait que les mains, et mon esprit, désœuvré, vagabondait, menaçant d’échapper à mon contrôle. J’oscillais entre des projections si intenses qu’elles en étaient presque douloureuses et une peur insidieuse qui entamait ma détermination. J’étais obligée de me répéter que j’avais choisi, et qu’il n’était pas question de changer d’avis. Je sortais sa note de ma poche sans raison aucune, relisant les deux mots qu’il avait écrits. Il me voulait saine et sauve, ne cessais-je de me dire. Je n’avais plus qu’à espérer en cette profession de foi, à croire que ce désir pur finirait pas l’emporter sur tous les autres, moins avouables, que je lui inspirais. Quelle alternative avais-je, de toute façon ? Couper les ponts ? Intolérable. Depuis mon arrivée à Forks, j’avais vraiment l’impression que toute ma vie s’était réduite à lui.

Et pourtant, une petite voix inquiète au fond de moi se demandait si... je souffrirais beaucoup au cas où les choses tourneraient mal.

C’est avec soulagement que je vis arriver une heure décente pour me coucher. Sachant que j’étais trop énervée pour dormir, je m’autorisai une folie et avalai un médicament contre le rhume dont je n’avais absolument pas besoin, destiné à m’assommer pour huit bonnes heures. C’était un comportement que j’aurais, en temps normal, réprouvé, mais la journée qui m’attendait le lendemain risquait d’être assez compliquée sans que j’y ajoute un état erratique dû au manque de sommeil. En attendant les premiers effets de l’antibiotique, je me lavais et séchais les cheveux et réfléchis à ce que j’allais porter le jour suivant.

Mes affaires prêtes pour le matin, je finis par me coucher. J’étais sur les nerfs et n’arrêtais pas de m’agiter. Me relevant, je fouillai dans la boîte à chaussures qui contenait mes CD jusqu’à ce que je trouve des nocturnes de Chopin. Je les mis, le volume au minimum, me rallongeai et m’astreignis à décontracter toutes les parties de mon corps, les unes après les autres. Vers le milieu de l’exercice, les cachets agirent, et je sombrai.

 

Je me réveillai tôt, après une nuit calme et sans rêves. Bien que je fusse reposée, je retombai aussitôt dans l’état d’énervement de la veille. Je m’habillai précipitamment, lissant mon col et ajustant mon gilet marron clair jusqu’à ce qu’il se positionne correctement au-dessus de mon jean. Un coup d’œil par la fenêtre m’apprit que Charlie était déjà parti. Une fine couche de nuages cotonneux voilait le ciel. Ils ne dureraient pas.

J’avalai machinalement mon petit-déjeuner, puis me dépêchai de nettoyer et de ranger. Je regardai une nouvelle fois dehors, rien n’avait changé. Je venais juste de terminer de me laver les dents et redescendais quand un coup discret à la porte déclencha des pulsations incontrôlées dans ma poitrine. Je planai jusqu’à l’entrée, me débattis avec le verrou mais finis par réussir à ouvrir le battant à la volée – c’était lui. Dès que je vis son visage, mon agitation s’évanouit, et je me ressaisis. Mes craintes de la veille paraissaient sans fondements du moment qu’il était là.

Au début, il ne me sourit pas, il était préoccupé. Puis son expression s’éclaircit au fur et à mesure qu’il me détaillait, et il se mit à rire.

— Bonjour ! lança-t-il joyeusement.

— Qu’est-ce qui cloche ?

Je m’examinai sous toutes les coutures afin de vérifier que je n’avais rien oublié d’important, comme mes chaussures ou mon pantalon.

— Nous sommes habillés pareil ! s’esclaffa-t-il.

Je vis en effet qu’il arborait un long gilet marron clair d’où pointait un col blanc et un jean bleu. Mon rire se joignit au sien, en dépit d’un vague regret – pourquoi fallait-il qu’il ressemble à un mannequin et pas moi ? Pendant que je fermais la porte, il s’approcha de la camionnette et m’y m’attendit, côté passager, avec des airs de martyr.

— On a passé un accord, lui rappelai-je, triomphante, tout en grimpant derrière le volant.

J’ouvris sa portière de l’intérieur.

— Où va-t-on ? m’enquis-je.

— Mets ta ceinture, j’ai déjà la frousse.

J’obéis, non sans le gratifier d’un regard mauvais.

— Prends la 101 en direction du nord, m’ordonna-t-il.

J’eus beaucoup de mal à me concentrer sur la route, sachant qu’il me couvait des yeux. Du coup, je traversai encore plus lentement que d’ordinaire la ville endormie.

— Tu as l’intention de quitter Forks avant la nuit ? m’apostropha-t-il.

— Cette bagnole est assez vieille pour avoir appartenu à ton grand-père. Un peu de respect.

Malgré ce qu’il venait d’en dire, nous ne tardâmes pas à franchir les limites de la ville. Des sous-bois denses et des troncs verdis de mousse remplacèrent les pelouses et les maisons.

— Tourne à droite sur la 110, m’intima-t-il au moment où j’allais lui poser la question. (J’obéis en silence.) Maintenant, on continue jusqu’à ce que la chaussée disparaisse.

Je perçus son amusement mais ne tournai pas la tête vers lui, de peur de quitter la route – et de lui donner raison par la même occasion.

— Et qu’y a-t-il après la chaussée ?

— Un sentier.

— On part en balade ?

Dieu merci, j’avais mes vieilles tennis.

— Ça te pose un problème ?

À croire qu’il l’avait espéré.

— Non.

Je m’étais efforcée de prononcer ce mensonge avec assurance. Mais s’il trouvait que ma camionnette se traînait, il n’allait pas être déçu avec moi.

— Détends-toi, rien qu’une petite dizaine de kilomètres, et nous ne sommes pas pressés.

Une dizaine de bornes ! Je ne relevai pas, craignant que, sous l’effet de la panique, ma voix ne déraille. Dix kilomètres de racines embusquées et de cailloux instables qui essaieraient de tordre mes chevilles ou de me blesser par quelque moyen que ce fût. L’humiliation promettait d’être complète. Nous roulâmes en silence tandis que je ruminais l’horreur qui m’attendait.

— À quoi penses-tu ? finit-il par s’impatienter.

— Je me demandais juste où nous allions, mentis-je une nouvelle fois.

— C’est un endroit où j’aime me rendre quand il fait beau.

D’un même mouvement, nous jetâmes un coup d’œil sur les nuages qui s’effilochaient.

— Charlie m’a assuré que la journée serait chaude.

— Lui as-tu avoué ce que tu manigançais ?

— Non.

— Jessica croit toujours que nous allons ensemble à Seattle, au moins ?

Idée qui parut le réjouir.

— Non plus, je lui ai raconté que tu avais annulé – ce qui est vrai, d’ailleurs.

— Alors, personne ne sait que tu es avec moi ?

Il était en colère, maintenant.

— Pas forcément... Car j’imagine que tu as prévenu Alice ?

— Bravo, Bella ! J’ai vraiment l’impression d’être soutenu !

Je fis comme si je n’avais pas entendu.

— Es-tu si déprimée par Forks que tu veuilles te suicider ? s’emporta-t-il.

— Je croyais que ça risquait de t’attirer des ennuis... qu’on nous voie ensemble.

— Tu t’inquiètes des soucis que je pourrais avoir si toi, tu ne rentrais pas chez toi ? C’est le bouquet !

J’acquiesçai, les yeux rivés sur le pare-brise. Il marmonna dans sa barbe, si vite que je ne compris pas. Le reste du chemin se déroula sans un mot. Je sentais des vagues de réprobation furibonde émaner de lui, et je ne trouvais rien à dire pour l’apaiser.

La route s’acheva brutalement, se réduisant à un étroit sentier pédestre balisé d’un petit piquet en bois. Je me garai sur le bas-côté et bondis de voiture, à la fois parce que j’étais effrayée par sa colère et parce que ça me donnait une excuse pour ne pas le regarder. L’air s’était réchauffé, à présent, il était plus doux que ce que j’avais jamais connu depuis mon arrivée à Forks, presque lourd à cause des nuages. Retirant mon gilet, je l’attachai autour de ma taille, heureuse d’avoir mis ma chemise légère sans manches – d’autant plus que dix kilomètres de randonnée m’attendaient.

Sa portière claqua, et je relevai la tête. Lui aussi avait ôté son gilet. Il me tournait le dos, contemplant la forêt épaisse le long de laquelle nous étions parqués.

— Par ici, dit-il en jetant un coup d’œil derrière lui, l’air toujours aussi revêche.

Sur ce, il s’enfonça dans les bois.

— Mais le chemin ? bêlai-je, paniquée, en courant autour du camion pour le rattraper.

— Je n’ai jamais dit que nous l’emprunterions.

— Ah bon ?

— Je ne te laisserai pas te perdre, va !

Il se retourna, un sourire moqueur aux lèvres. J’étouffai un petit cri. Sa chemise sans manches était déboutonnée, révélant le lissé blanc de sa peau qui s’étalait, ininterrompu, de sa gorge aux contours marmoréens de son torse, libérant sa musculature impeccable des vêtements qui d’habitude n’en donnaient qu’une vague idée. Il était trop parfait, me rendis-je compte, désespérée. Il était impossible qu’une créature aussi divine pût m’être destinée. Il me dévisagea, décontenancé par mon air torturé.

— Tu préfères rentrer ? murmura-t-il d’une voix qui exhalait une souffrance différente de la mienne.

— Non.

J’avançai jusqu’à me retrouver tout près de lui, anxieuse de ne pas perdre une des secondes du temps qui m’était imparti en sa compagnie.

— Qu’y a-t-il, alors ? voulut-il savoir, soudain très tendre.

— Je ne suis pas très bonne marcheuse, confessai-je, penaude. Il va falloir que tu sois très patient.

— J’en suis capable... même si ça exige beaucoup d’efforts.

Il me sourit, soutenant mon regard comme pour me tirer de mon inexplicable découragement. Je tentai de lui retourner son sourire, mais je ne fus pas très convaincante. Il m’observa longuement.

— Tu vas rentrer chez toi, me jura-t-il.

Je ne réussis pas à déterminer si cette promesse était sans condition ou soumise à un départ immédiat. Je devinais qu’il mettait mon bouleversement sur le compte de la peur qu’il m’inspirait et, une fois encore, je fus contente d’être celle dont il n’arrivait pas à lire les pensées.

— Si tu veux que je crapahute dix bornes dans la jungle avant le coucher du soleil, tu ferais mieux d’avancer, lançai-je, acide.

Il fronça les sourcils, essayant d’interpréter mon ton et mon expression, mais il finit par renoncer et prit la tête de notre expédition.

Ce ne fut pas aussi difficile que je l’avais craint. Le terrain était presque plat, et Edward écartait les fougères humides et les rideaux de mousse devant moi. Lorsqu’il fallait escalader des troncs d’arbre ou des rochers, il m’aidait à les franchir en me soutenant par le coude, me relâchant dès que j’étais de l’autre côté. Son contact glacé ne manquait jamais d’accélérer les battements de mon cœur. À deux reprises, je détectai sur ses traits une réaction qui me confirma qu’il les entendait. Je tâchai d’éviter le plus possible de regarder son corps sublime, mais je dérapais souvent. À tous les coups, sa beauté me transperçait de tristesse.

Nous progressâmes en silence, ne parlant que rarement. De temps à autre, il me posait une question au hasard, de celles qui avaient échappé à ses investigations des deux jours précédents. Mon anniversaire, mes enseignants de l’école primaire, les animaux de mon enfance – je dus avouer que, après avoir tué trois poissons rouges à la suite, j’avais renoncé à ce genre d’institution. Ce détail provoqua en lui une hilarité d’une vigueur inédite, l’écho de ses rires pareils à des clochettes se répercutant à travers la forêt déserte.

La balade nous prit presque toute la matinée, mais il ne fit pas une fois montre d’agacement. Les bois s’étalaient alentour en un labyrinthe infini de très vieux arbres, au point que je commençai à me demander avec nervosité si nous retrouverions notre chemin. Lui était parfaitement à l’aise dans cette toile de verdure et paraissait n’avoir aucun doute quant à notre trajectoire.

Au bout de quelques heures, la lumière filtrée par la feuillée passa d’un vert olive soutenu à un jade plus clair – le soleil l’avait emporté, comme prévu. Pour la première fois depuis que j’avais pénétré dans la forêt, l’excitation s’empara de moi et ne tarda pas à se transformer en impatience.

— On est bientôt arrivés ? lançai-je, faussement bougonne.

— Presque, répondit-il, mon changement d’humeur déclenchant un rictus narquois. Tu vois la lueur, là-bas ?

Je scrutai les arbres.

— Euh... non.

— C’est sans doute un peu trop loin pour tes yeux.

— Alors, il serait temps que j’aille chez l’ophtalmo, marmottai-je, ce qui le fit rire.

Au bout d’une centaine de mètres cependant, je distinguai en effet sous les frondaisons une trouée plus jaune que verte. J’accélérai, de plus en plus fiévreuse. Me laissant passer devant, il me suivit sans bruit.

Franchissant la dernière rangée de fougères, j’entrai dans l’endroit le plus ravissant du monde. La clairière, petite et parfaitement ronde, était tapissée de fleurs violettes, jaunes et blanches. À quelques mètres de là, murmurait un ruisseau. Le soleil tombait droit sur nous, noyant la place sous un halo de lumière mordorée. Intimidée, j’avançai lentement dans l’herbe tendre, les pétales chatoyants, l’air tiède et doré. Je me retournai à demi, désireuse de partager cet instant avec lui, mais il n’était plus là. Je le cherchai vivement des yeux, soudain alarmée, et finis par le repérer – il était resté dans l’ombre épaisse des feuilles, à l’orée de la clairière et me contemplait prudemment. Me revint alors en mémoire ce que la beauté des lieux m’avait fait oublier – l’énigme d’Edward et du soleil qu’il avait promis de me montrer aujourd’hui.

Je fis un pas vers lui, pleine de curiosité. Il paraissait circonspect, réticent. Avec un sourire encourageant, je l’invitai à venir et me rapprochai encore. Il leva le bras, et je m’arrêtai, oscillant sur mes talons. Il parut inhaler longuement puis plongea dans l’éclatante aura du soleil de midi.

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